Ali Mazrooe : « La vie continue »
Ali Mazrooei a 63 ans. Il est iranien, journaliste et vit à Bruxelles depuis 2010. Diplômé de l’université d’Esfahan, membre de l’Association des journalistes iraniens (aujourd’hui dissoute), journaliste économique dans une dizaine de journaux d’opposition (tous fermés) dont SALAM Newspaper, très impliqué dans la société civile de son pays, Ali porte un regard affûté sur l’Iran.
En 2009, le président Ahmadinedjad doit faire face au soulèvement de sa population qui conteste sa réélection suite à des fraudes électorales massives (le « mouvement vert »). Il verrouille les médias, ferme les journaux d’opposition les uns après les autres et promet de faire subir aux journalistes le traitement tristement ordinaire des pays qui n’acceptent pas une presse libre et autonome : intimidation, violence, prison. Pour échapper à la répression, Ali et 200 autres journalistes iraniens sont obligés de fuir le pays.
Il aurait pu débarquer à Paris, Rome ou Berlin. Finalement, ça sera Bruxelles. « En Iran, grâce à l’Association des journalistes iraniens, nous avions de bons contacts avec la FIJ (Fédération internationale des journalistes) qui nous a aidés, moi et les autres journalistes quand nous avons dû quitter le pays. C’est comme ça que je me suis retrouvé à Bruxelles. »
Avec sa femme et deux de ses enfants, Ali commence une nouvelle vie. « En arrivant en Belgique, je pensais qu’on y resterait deux ou trois ans puis qu’on retournerait ensuite en Iran ». Dix ans plus tard, Ali est sans illusion : « Au vu de la situation actuelle, il m’est impossible d’envisager de retourner là-bas. Je ne sais pas quand on pourra rentrer. »
Dix années durant lesquelles Ali, loin de Téhéran, n’a jamais cessé de travailler. « J’étais journaliste et je le suis toujours. J’écris pour le Web et j’analyse la situation de mon pays. J’ai encore des contacts là-bas, je lis beaucoup, je m’informe. »
Au milieu du salon d’Ali trône un lutrin sur lequel est posé un ordinateur portable. La télévision est allumée sur une chaîne persane. Le téléphone sonne, Ali répond dans sa langue. Très actif dans son pays, il avoue se sentir parfois un peu isolé. « Le plus difficile quand on est loin, c’est de se faire des amis, un réseau, des relations, surtout à mon âge. Je ne parle ni français ni néerlandais. J’ai encore des difficultés à m’impliquer dans la société belge. Les membres de ma famille restés là-bas me manquent. »
Il y a deux ans, sa mère est morte. Ali avait bien tenté de la faire venir à Bruxelles mais son visa lui avait été refusé par la Belgique. Amer et sans illusion sur l’avenir proche de son pays, Ali essaie d’y croire encore. « Je me dis que la vie continue. »
Samuel Malhoure